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Les causes environnementales
L’apparition des premiers animaux complexes sur la Terre suppose l’existence d’un environnement favorable à leur survie. Les chercheurs ont étudié toutes sortes de facteurs environnementaux susceptibles d’avoir favorisé l’évolution de nouveaux plans d’organisation. Les deux plus valables semblent être l’augmentation des taux d’oxygène et la fin de conditions glaciaires extrêmes.
Les animaux pluricellulaires ont besoin d’oxygène pour alimenter leur métabolisme. Ils fonctionnent mal lorsque l’oxygène est rare, ils ne peuvent en fait survivre en son absence. Il se peut que les activités de photosynthèse aient augmenté la quantité d’oxygène dans les océans et dans l’atmosphère, vers le début du Cambrien, permettant ainsi l’évolution d’animaux plus grands et plus complexes, dotés de systèmes respiratoires et circulatoires.
Pourtant, il ne semble pas y avoir eu de variation notable dans les taux d’oxygène pendant la transition Édiacarien-Cambrien. Des augmentations antérieures pourraient avoir déclenché l’évolution de métazoaires édiacariens de grande taille avant l’explosion, tandis qu’une nouvelle élévation des taux d’oxygène survenue après l’explosion pourrait avoir permis aux animaux d’adopter des modes de vie plus actifs, nécessitant davantage d’énergie, comme la natation et la prédation.
Les glaciers pourraient fournir une autre explication environnementale plausible sur le plan chronologique de l’explosion cambrienne. Selon certains chercheurs, la glace recouvrait toute la surface de la Terre avant l’explosion cambrienne. (C’est ce qu’on appelle l’hypothèse de la « Terre boule de neige ».)
La glace limitait sans doute le nombre de niches évolutives offertes à la vie marine et arrêtait le plus gros de la lumière, indispensable aux tapis de cyanobactéries et aux algues. Mais, avec le recul des glaciers, d’immenses étendues se sont soudainement ouvertes à la vie, situation idéale pour l’expérimentation de différents plans d’organisation. Malheureusement pour cette hypothèse, la dernière glaciation planétaire semble avoir pris fin il y a environ 635 millions d’années – soit près de 90 millions d’années avant les premiers signes de l’explosion cambrienne dans les archives fossiles – et elle a été suivie d’une autre grande glaciation régionale il y a environ 580 millions d’années. Même s’il n’existe aucun lien déclencheur direct entre les glaciations précambriennes et l’explosion cambrienne, la période postglaciaire a été une époque cruciale pour l’évolution. L’apparition des premiers organismes pluricellulaires, grands et complexes, peu après le retour d’un climat terrestre plus clément, donne à penser que les conditions environnementales étaient devenues favorables à leur évolution.
Certains chercheurs ont fait valoir que l’environnement de la transition Précambrien-Cambrien ne présentait rien de vraiment particulier. Pour eux, la réponse au questionnement sur le moment de l’explosion cambrienne est à chercher au sein même des organismes de l’époque. Dans leur perspective, le vivant devait d’abord acquérir la capacité de créer de nouveaux plans d’organisation diversifiés.
Chez les animaux, les gènes du développement orchestrent l’intervention des autres gènes, dans la « construction » de l’organisme aux premiers stades de sa vie. Beaucoup de gènes du développement importants se retrouvent à l’identique chez des animaux appartenant à des groupes très différents. Ils sont tellement bien partagés que les gènes régulateurs d’une souris de laboratoire fonctionnent parfaitement dans une drosophile. Cette conservation implique leur présence chez le dernier ancêtre commun de la drosophile et de la souris. De très petites modifications des gènes du développement peuvent avoir des répercussions considérables sur la morphologie des organismes résultants. Ainsi, chez la drosophile, des mutations des gènes homéotiques peuvent entraîner la formation d’une paire d’ailes supplémentaire ou l’implantation de pattes à l’emplacement normal des antennes. On pourrait donc en déduire que l’explosion cambrienne s’est déclenchée lorsque le génome de l’ancêtre de tous les animaux modernes a atteint un niveau de complexité suffisant (y compris l’évolution de gènes du développement de type homéotique) pour créer de nouveaux plans d’organisation radicalement différents. Cela aurait fourni une nouvelle matière première sur laquelle pouvait s’exercer la sélection naturelle.
De telles modifications génomiques pourraient s’être amorcées bien avant le Cambrien et avoir fait naître les édiacariens, selon une voie de développement originale qui ne s’est plus jamais répétée après leur extinction. Après l’explosion cambrienne et l’apparition des plans d’organisation que nous connaissons aujourd’hui, il semble que les modifications développementales à grande échelle aient été « figées », et aucun nouveau plan d’organisation n’est apparu depuis.
L’explication de l’explosion cambrienne ne réside peut-être ni dans l’environnement, ni dans les gènes régulateurs, mais bien dans les interactions écologiques complexes entre les animaux. L’explosion pourrait avoir résulté de la coévolution, les différents habitants de l’écosystème cambrien ayant été « poussés » à évoluer par des changements survenus au sein de cet écosystème.
Par exemple, l’apparition de prédateurs pourrait avoir stimulé l’évolution du squelette (y compris les plaques minéralisées) pour se protéger ou, dans le cas de la natation, comme moyen de fuite. Avant que la prédation ne se répande, différentes « expérimentations » de plans d’organisation ont pu se produire, dans un contexte d’interactions entre espèces probablement encore assez limitées.
L’installation dans des milieux jusque-là inexploités devait autoriser la survie d’organismes même piètrement adaptés, peut-être dotés de l’un des curieux plans d’organisation observés au Cambrien. L’interaction des organismes avec l’environnement a sans doute créé de nouvelles niches écologiques (places particulières qu’occupent des espèces dans un écosystème).
On peut penser à l’apparition du zooplancton, apportant de la matière organique aux organismes benthiques, ou à celle du fouissage, qui a rendu possibles de nouvelles interactions avec les sédiments. Mais, au bout de dizaines de millions d’années, la multiplication des organismes occupant ces niches a entraîné une concurrence qui a éliminé ceux qui étaient dotés de plans d’organisation moins bien adaptés, ne laissant subsister que les ancêtres des embranchements actuels.
RÉSUMÉ : En 1990, le célèbre paléontologue Stephen Jay Gould est venu parler des fossiles des schistes de Burgess au Musée Royal de l’Ontario. Si de nombreuses interprétations qu’il donnait alors ont été remises en question, sa conférence résumait bien l’idée qu’on se faisait à l’époque de ces fossiles. (6:32) (6:20)
Voici Marrella. Je dirais que le classement des arthropodes est basé principalement sur le nombre de segments et les motifs des différentes parties du corps.
« Nous avons donc Marrella, un arthropode qui n’entre dans aucun groupe. Il possède deux paires d’épines. Il n’est apparenté à aucune lignée. »
« Whittington était perplexe lorsqu’il a publié son premier article sur Marrella, en 1971, mais il a persévéré. Il s’est ensuite intéressé à Yohoia, »
« une créature semblable à une crevette et décrite comme telle par Walcott. Après une étude minutieuse, Whittington a constaté que Yohoia n’appartenait à aucun groupe moderne. À première vue, il ressemble à une crevette, mais il suffit de compter les segments pour savoir qu’il ne s’agit pas du plan d’organisation d’un crustacé. »
« Par exemple, la tête possède une paire d’appendices unique en son genre chez les arthropodes. Faute de mieux, Whittington finira par les appeler les « grands appendices ». »
« Voici Odaraia, une créature qui nage sur le dos et dont la nageoire caudale ressemble plus à celle d’une baleine que d’un arthropode. Lui aussi est unique en son genre. »
« Il ressemble vaguement à un crustacé nageur, mais s’en distingue nettement par les segments et les motifs de la queue. »
« Ici, nous avons Sidneyiaque Walcott a décrit comme un chélicérate, c’est à dire un membre du groupe des limules, celui des araignées et des scorpions. La ressemblance est superficielle. »
« Chez les chélicérates, la tête porte six paires d’appendices, mais il n’y en a qu’une chez Sidneyia, ces antennes. Bref, Sidneyia est unique en son genre. »
« Voici Habelia, une créature étrange… »
« … recouverte de tubercules. »
« En fait d’élégance, la palme va à Leanchoilia, aujourd’hui disparu. »
« Ici encore, nous retrouvons ces grands appendices, comme Whittington les appelle, avec leurs prolongements en forme de fouet. »
« Voici Aysheaia… »
« … qui fait probablement partie des onychophores, un groupe moderne représenté par un genre au nom charmant de Peripatus. Ce groupe méconnu serait un intermédiaire entre les annélides et les arthropodes, peut-être même, l’ancêtre des insectes. Aysheaia pourrait en réalité être apparenté à un des groupes d’arthropodes toujours présents. »
« Voici maintenant une forme découverte par Des Collins qui, selon la tradition paléontologique, lui a d’abord donné un nom de terrain. »
« Il l’a appelé « Santa Claws », puis Sanctacaris, ce qui veut dire à peu près la même chose. Est-il vraiment différent de ceux que je viens de vous montrer? »
« Auriez-vous pensé qu’une telle créature aurait survécu? Que c’était un organisme supérieur qui aller durer? Pourtant, tout porte à croire que Sanctacarisest vraiment un chélicérate.
Comme il a six paires d’appendices au bon endroit sur la tête, cet animal pourrait au moins être apparenté à une des lignées encore existantes. Mais l’auriez-vous su? Qui l’aurait su? »
« Voici Opabinia, qui, à mon avis, représente l’une des étapes décisives de l’histoire de la connaissance humaine. »
« Walcott, qui le considérait comme un arthropode, une sorte de crevette, l’a classé automatiquement, comme à son habitude, dans les groupes d’organismes modernes. C’est la première créatureréinterprétée par Whittington qui permet de sortir du cadre conceptuel préétabli et d’apercevoir un monde nouveau. »
« Whittington pensait à un arthropode quand il entrepris ses travaux sur Opabiniaau début des années 1970. À la différence de Walcott, il s’est rendu compte que ces créatures présentaient un certain caractère tridimensionnel, qu’elles n’étaient pas simplement des impressions laissées sur la roche… »
« … et qu’il pourrait trouver des structures sous-jacentes par dissection. Il s’est dit qu’il pouvait résoudre l’énigme, qu’il allait disséquer le corps et trouver les appendices en dessous, et ainsi démontrer qu’il s’agissait d’un arthropode. Mais il n’a rien trouvé: il n’y a pas d’appendices. »
« Sa reconstitution d’Opabiniaa révélé que ce n’était pas un arthropode, mais une créature bizarre ayant sa propre anatomie. La monographie sur Opabiniapubliée en 1975 représente selon moi une percée dans la réinterprétation des schistes de Burgess. »
« Voici le dessin de Marianne représentant Opabinia, cette créature bizarre qui possède cinq yeux – comptez-les –, une trompe frontale qui ressemble à un tuyau d’aspirateur et qui se termine par un appareil de collecte de nourriture, une partie arrière ressemblant à un soufflet, puis une queue. Je ne sais pas ce que c’est, mais c’est étrange. »
« Voici Nectocaris, une créature singulière qui a l’apparence d’un chordé vue de derrière et qui possède une nageoire caudale… »
« … mais qui ressemble davantage à un octopode à l’avant. Qui sait? »
« Dinomischusest un organisme tout aussi bizarre, en forme de tige… »
« … qui n’a aucune affinité avec d’autres espèces. »
« Voici maintenant Odontogriphus, c’est-à-dire l’« énigme dentée », nom qui lui convient parfaitement. »
« C’est un animal au corps aplati, gélatineux et annelé dont la bouche est entourée d’une rangée de « dents » et bordée d’une paire de palpes sensoriels. »
« Walcott a décrit trois genres distincts, qu’il a classés, selon son habitude, dans trois groupes classiques.
L’animal qu’il a appelé une méduse et baptisée Peytoia.. »
« Celui qu’il a classé comme concombre de mer, qu’il a appelé Laggania. »
« Et cette créature, dont le corps ressemble à celui d’un arthropode, qui avait déjà été décrite et baptisée Anomalocaris, c’est à dire « étrange crevette ». Je crois que vous avez deviné: »
« ces trois créatures n’en forment qu’une, l’une des plus bizarres de la faune étrange de Burgess.
C’est aussi le plus gros organisme du Cambrien. Certains spécimens font presque un mètre de long.
La soi-disant méduse est en fait sa bouche. Contrairement aux mâchoires d’un vertébré, la bouche d’Anomalocaris est circulaire et agit comme un casse-noix.
Ce qu’on appelait Anomalocarisest en fait une paire d’appendices préhenseurs, tandis que le supposé concombre de mer constitue le corps de l’animal. »