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La nature des animaux du biote de Burgess et leur importance évolutive sont des sujets qui ont soulevé beaucoup d’intérêt depuis la découverte des premiers fossiles de ce gisement, voici plus de cent ans. Les interprétations qu’on en a données ont varié au cours des ans, mais il est clair que ces fossiles peuvent grandement nous aider à comprendre les formes qu’a prises le vivant au cours de l’explosion cambrienne. L’intérêt pour l’importance évolutive de ce biote a été réveillé par la découverte d’autres gisements fossilifères de type Burgess en divers endroits du monde et par un réexamen approfondi des fossiles des schistes de Burgess.
Charles Walcott affirmait au début que les organismes de la faune de Burgess appartenaient à des catégories éteintes, au sein de groupes d’animaux existant encore de nos jours. Toutefois, beaucoup de ces animaux nous semblent plutôt bizarres et les descriptions détaillées qui en ont été faites par la suite ont fait ressortir la difficulté de leur appliquer les définitions correspondant aux groupes modernes.
D’aucuns, et tout particulièrement Stephen Jay Gould, y ont vu la preuve que l’explosion cambrienne a été une période d’expérimentation, puisque les organismes de cette époque présentaient un bien plus grand nombre de plans d’organisation que de nos jours (et témoignaient donc d’une plus grande disparité évolutive). Le hasard a fait que seuls certains de ces plans d’organisation ont survécu, constituant les embranchements que nous connaissons actuellement. Si Gould a vu juste, et si les créatures bizarres des schistes de Burgess – qu’il appelait des « étranges merveilles » – représentent bien des embranchements éteints, l’explosion cambrienne a été une période d’innovations évolutives de bien plus grande ampleur qu’on ne le soupçonnait auparavant.
De nouvelles observations plus récentes donnent à penser que les plans d’organisation des animaux cambriens n’étaient, après tout, pas plus nombreux que ceux que présentent les animaux actuels. Bien des « étranges merveilles » de Gould ont maintenant été réintégrées au sein d’embranchements modernes, bien qu’à quelque distance des groupes d’animaux de ces embranchements existant encore à l’heure actuelle.
Il reste une série de formes bizarres difficiles à classer. C’est en partie dû à ce que certaines d’entre elles sont encore mal connues, faute d’un nombre suffisant de fossiles en bon état de conservation pour en étudier l’anatomie et la décrire avec certitude. D’autres fossiles mieux connus ne présentent que certains des caractères associés à des groupes connus ou possèdent une combinaison de caractères ne cadrant avec aucun organisme, actuel ou éteint, dont nous ayons connaissance. On les considère désormais comme des animaux primitifs qui ont évolué parallèlement aux lignées ou groupes de lignées établis (voir groupe couronne et groupe souche).
Certains des derniers changements d’interprétation se basent sur de nouveaux matériaux fossiles qui fournissent beaucoup plus de spécimens et de caractères à étudier. Une série de fossiles considérés auparavant comme « inclassables » (par exemple, Odontogriphus et Nectocaris) n’étaient connus que par un spécimen unique, en mauvais état de conservation. Des centaines de nouveaux spécimens contribuent à éclaircir la nature et l’importance évolutive de ces animaux. Le recours à l’informatique pour le classement des organismes (grâce à des programmes d’analyse de parcimonie) et l’application des notions de groupe souche et de groupe couronne ont également contribué à ces changements. Les parentés évolutives sont identifiées par le repérage de caractères partagés, hérités de l’ancêtre commun de différents organismes.
RÉSUMÉ : En 1990, le célèbre paléontologue Stephen Jay Gould est venu parler des fossiles des schistes de Burgess au Musée Royal de l’Ontario. Si de nombreuses interprétations qu’il donnait alors ont été remises en question, sa conférence résumait bien l’idée qu’on se faisait à l’époque de ces fossiles. (6:32) (6:20)
Voici Marrella. Je dirais que le classement des arthropodes est basé principalement sur le nombre de segments et les motifs des différentes parties du corps.
« Nous avons donc Marrella, un arthropode qui n’entre dans aucun groupe. Il possède deux paires d’épines. Il n’est apparenté à aucune lignée. »
« Whittington était perplexe lorsqu’il a publié son premier article sur Marrella, en 1971, mais il a persévéré. Il s’est ensuite intéressé à Yohoia, »
« une créature semblable à une crevette et décrite comme telle par Walcott. Après une étude minutieuse, Whittington a constaté que Yohoia n’appartenait à aucun groupe moderne. À première vue, il ressemble à une crevette, mais il suffit de compter les segments pour savoir qu’il ne s’agit pas du plan d’organisation d’un crustacé. »
« Par exemple, la tête possède une paire d’appendices unique en son genre chez les arthropodes. Faute de mieux, Whittington finira par les appeler les « grands appendices ». »
« Voici Odaraia, une créature qui nage sur le dos et dont la nageoire caudale ressemble plus à celle d’une baleine que d’un arthropode. Lui aussi est unique en son genre. »
« Il ressemble vaguement à un crustacé nageur, mais s’en distingue nettement par les segments et les motifs de la queue. »
« Ici, nous avons Sidneyiaque Walcott a décrit comme un chélicérate, c’est à dire un membre du groupe des limules, celui des araignées et des scorpions. La ressemblance est superficielle. »
« Chez les chélicérates, la tête porte six paires d’appendices, mais il n’y en a qu’une chez Sidneyia, ces antennes. Bref, Sidneyia est unique en son genre. »
« Voici Habelia, une créature étrange… »
« … recouverte de tubercules. »
« En fait d’élégance, la palme va à Leanchoilia, aujourd’hui disparu. »
« Ici encore, nous retrouvons ces grands appendices, comme Whittington les appelle, avec leurs prolongements en forme de fouet. »
« Voici Aysheaia… »
« … qui fait probablement partie des onychophores, un groupe moderne représenté par un genre au nom charmant de Peripatus. Ce groupe méconnu serait un intermédiaire entre les annélides et les arthropodes, peut-être même, l’ancêtre des insectes. Aysheaia pourrait en réalité être apparenté à un des groupes d’arthropodes toujours présents. »
« Voici maintenant une forme découverte par Des Collins qui, selon la tradition paléontologique, lui a d’abord donné un nom de terrain. »
« Il l’a appelé « Santa Claws », puis Sanctacaris, ce qui veut dire à peu près la même chose. Est-il vraiment différent de ceux que je viens de vous montrer? »
« Auriez-vous pensé qu’une telle créature aurait survécu? Que c’était un organisme supérieur qui aller durer? Pourtant, tout porte à croire que Sanctacarisest vraiment un chélicérate.
Comme il a six paires d’appendices au bon endroit sur la tête, cet animal pourrait au moins être apparenté à une des lignées encore existantes. Mais l’auriez-vous su? Qui l’aurait su? »
« Voici Opabinia, qui, à mon avis, représente l’une des étapes décisives de l’histoire de la connaissance humaine. »
« Walcott, qui le considérait comme un arthropode, une sorte de crevette, l’a classé automatiquement, comme à son habitude, dans les groupes d’organismes modernes. C’est la première créatureréinterprétée par Whittington qui permet de sortir du cadre conceptuel préétabli et d’apercevoir un monde nouveau. »
« Whittington pensait à un arthropode quand il entrepris ses travaux sur Opabiniaau début des années 1970. À la différence de Walcott, il s’est rendu compte que ces créatures présentaient un certain caractère tridimensionnel, qu’elles n’étaient pas simplement des impressions laissées sur la roche… »
« … et qu’il pourrait trouver des structures sous-jacentes par dissection. Il s’est dit qu’il pouvait résoudre l’énigme, qu’il allait disséquer le corps et trouver les appendices en dessous, et ainsi démontrer qu’il s’agissait d’un arthropode. Mais il n’a rien trouvé: il n’y a pas d’appendices. »
« Sa reconstitution d’Opabiniaa révélé que ce n’était pas un arthropode, mais une créature bizarre ayant sa propre anatomie. La monographie sur Opabiniapubliée en 1975 représente selon moi une percée dans la réinterprétation des schistes de Burgess. »
« Voici le dessin de Marianne représentant Opabinia, cette créature bizarre qui possède cinq yeux – comptez-les –, une trompe frontale qui ressemble à un tuyau d’aspirateur et qui se termine par un appareil de collecte de nourriture, une partie arrière ressemblant à un soufflet, puis une queue. Je ne sais pas ce que c’est, mais c’est étrange. »
« Voici Nectocaris, une créature singulière qui a l’apparence d’un chordé vue de derrière et qui possède une nageoire caudale… »
« … mais qui ressemble davantage à un octopode à l’avant. Qui sait? »
« Dinomischusest un organisme tout aussi bizarre, en forme de tige… »
« … qui n’a aucune affinité avec d’autres espèces. »
« Voici maintenant Odontogriphus, c’est-à-dire l’« énigme dentée », nom qui lui convient parfaitement. »
« C’est un animal au corps aplati, gélatineux et annelé dont la bouche est entourée d’une rangée de « dents » et bordée d’une paire de palpes sensoriels. »
« Walcott a décrit trois genres distincts, qu’il a classés, selon son habitude, dans trois groupes classiques.
L’animal qu’il a appelé une méduse et baptisée Peytoia.. »
« Celui qu’il a classé comme concombre de mer, qu’il a appelé Laggania. »
« Et cette créature, dont le corps ressemble à celui d’un arthropode, qui avait déjà été décrite et baptisée Anomalocaris, c’est à dire « étrange crevette ». Je crois que vous avez deviné: »
« ces trois créatures n’en forment qu’une, l’une des plus bizarres de la faune étrange de Burgess.
C’est aussi le plus gros organisme du Cambrien. Certains spécimens font presque un mètre de long.
La soi-disant méduse est en fait sa bouche. Contrairement aux mâchoires d’un vertébré, la bouche d’Anomalocaris est circulaire et agit comme un casse-noix.
Ce qu’on appelait Anomalocarisest en fait une paire d’appendices préhenseurs, tandis que le supposé concombre de mer constitue le corps de l’animal. »