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Le site le plus célèbre des schistes de Burgess est celui de la carrière Walcott sur la crête aux fossiles. À ce jour, quelque 150 espèces d’animaux, d’algues et de bactéries provenant de ce site ont été décrites. Les gigantesques collections mises à la disposition des chercheurs – environ 65 000 spécimens, se trouvant à la Smithsonian Institution à Washington, D.C., 10 000, à la Commission géologique du Canada à Ottawa, et 150 000 abritées au Musée royal de l’Ontario, à Toronto – forment la base d’études détaillées portant sur des espèces particulières. Ces collections permettent également aux chercheurs d’étudier l’écosystème dans son ensemble, par le biais de méthodes statistiques quantitatives, encore impossibles à appliquer à d’autres gisements de type Burgess, faute d’un nombre de fossiles suffisant.
La plupart des fossiles provenant de la carrière Walcott sont ceux d’organismes qui ont sans doute vécu dans des eaux relativement profondes au pied de l’escarpement Cathedral. On avait pensé au début qu’il s’agissait d’organismes vivant en eaux moins profondes au-dessus de l’escarpement, mais, d’après des recherches récentes, ils auraient vécu et seraient morts là où ils ont été enfouis, au pied de la falaise.
La communauté de la carrière Walcott est représentative d’une communauté de type Burgess typique au Cambrien. On estime que jusqu’à 98 % des fossiles de ce site sont ceux d’organismes à corps mou, qui n’auraient eu aucune chance d’être conservés par des processus taphonomiques normaux. Le reste (2 %) correspond à des animaux présentant des parties minéralisées à l’origine (comme les trilobites) et se prêtant donc généralement mieux à la fossilisation. On trouve des trilobites et autres fossiles « à coquille » dans la plupart des gisements marins typiques du Cambrien, dans le monde entier. L’absence de fossiles d’organismes à corps mou dans ces gisements s’explique par le fait que ces derniers ne se sont pas conservés, plutôt que par leur absence de l’écosystème d’origine.
La composition de la communauté de la carrière Walcott a fait l’objet d’études approfondies, à partir de comptages des fossiles figurant dans les diverses collections. Témoins de l’abondance relative des spécimens et des espèces au sein des grands groupes d’organismes (ou taxons), les graphiques ci-dessous ont été établis à partir d’un sous-ensemble de 50 282 spécimens récoltés dans la carrière Walcott lors des dernières expéditions sur le terrain qu’a menées le Musée royal de l’Ontario. L’abondance relative des spécimens illustrés dans la Galerie des fossiles tient compte de ce chiffre.
L’abondance relative des spécimens correspond simplement au nombre de fossiles appartenant à un taxon particulier, exprimé en pourcentage du nombre total de fossiles récoltés. Quant à l’abondance relative des espèces, il s’agit du nombre d’espèces d’un taxon particulier, en pourcentage du nombre total d’espèces recensées. Un taxon peut comporter beaucoup d’espèces, mais n’être représenté que par très peu de spécimens. Inversement, un taxon peut ne comprendre que quelques espèces, mais être représenté par de très nombreux spécimens de fossiles. En comparant ces deux types de graphiques, les paléoécologistes peuvent étudier les tendances des associations entre espèces.
Les affinités exactes de beaucoup de fossiles de la carrière Walcott restent encore à élucider, mais un grand nombre d’espèces peuvent, cependant, être liées (en tant que formes primitives ou ancestrales) à de grands groupes d’organismes encore connus de nos jours (voir la section sur l’importance évolutive, plus loin, ainsi que les notions de groupe souche et de groupe couronne).
Tant sur le plan du nombre d’espèces que sur celui du nombre de spécimens, les animaux représentent le plus gros de la communauté; on rencontre également quelques espèces d’algues vertes et d’algues rouges, ainsi que des colonies microbiennes. Les groupes les plus importants sont de loin ceux des animaux à pattes articulées qui muent (arthropodes) et des éponges (porifères). La plupart des autres groupes ne sont représentés que par un nombre moindre de spécimens et d’espèces.
Pour comprendre la structure écologique de la communauté de la carrière Walcott, il est important de déterminer où et comment vivait chacun des types d’organismes la composant.
La plupart des espèces découvertes dans la carrière Walcott étaient des organismes benthiques (vivant dans le fond marin ou à proximité). Les animaux benthiques peuvent faire partie de l’endofaune (vivant dans les sédiments du fond marin), de l’épifaune (vivant à la surface du fond marin) ou du nectobenthos (nageant près du fond marin).
Une petite minorité d’entre eux étaient des espèces pélagiques, nageant dans la colonne d’eau et n’ayant aucune interaction avec le fond marin.
Les animaux des schistes de Burgess peuvent également se classer selon leur mobilité. Les animaux nectobenthiques et nectoniques nageaient activement, tandis que les créatures planctoniques se contentaient de flotter passivement. Certains des organismes benthiques de l’endofaune et de l’épifaune étaient sessiles (fixés en un endroit), tandis que d’autres étaient mobiles (capables de se déplacer).
Enfin, les animaux de la faune de Burgess peuvent se classer selon leur mode d’alimentation. Les suspensivores filtraient l’eau pour en extraire les particules alimentaires. Les dépositivores récoltaient les particules alimentaires se trouvant sur le fond marin ou dans le sédiment qui le tapissait. Les prédateurs carnivores chassaient et dévoraient les autres animaux et les charognards se nourrissaient d’animaux morts. Les brouteurs se nourrissaient d’algues photosynthétiques ou de cyanobactéries se développant dans l’eau faiblement éclairée au pied de l’escarpement Cathedral.
Les paléontologues peuvent déterminer les proportions des diverses espèces de la faune de Burgess appartenant à chacune de ces catégories. La très grande majorité d’entre elles (64 %) appartenaient à l’épifaune, vivant sur le fond marin (principalement des éponges); venaient ensuite les organismes de l’endofaune, vivant dans les sédiments (13 %), puis les animaux nectobenthiques, nageant près du fond (12 %) et, enfin, les espèces nageuses nectoniques, les moins nombreuses (11 %)
Le réseau alimentaire rend compte des interactions trophiques entre différents organismes d’une communauté.
L’écosystème des schistes de Burgess reposait sur les algues et bactéries photosynthétiques, qui se servaient de l’énergie lumineuse pour leur croissance. Les autres organismes se nourrissaient (directement ou indirectement) des algues et bactéries se développant sur le fond marin ou du plancton provenant des couches d’eau supérieures (voir la reconstitution de la faute des schistes de Burgess ci-dessus).
Les animaux vivant sur le fond marin ou dans le sédiment qui le tapissait pouvaient filtrer l’eau pour retenir les particules alimentaires s’y trouvant, chercher des fragments de nourriture sur le fond vaseux ou brouter directement les tapis d’algues ou de bactéries. Plus rares étaient les prédateurs, chassant activement leurs proies, ou les charognards, leur impact sur le réseau alimentaire ayant toutefois dû être considérable.
La structure du réseau alimentaire de l’écosystème des schistes de Burgess ressemble étonnamment à celle qu’on observe dans les communautés marines modernes, même si les espèces de l’époque étaient manifestement différentes. Cela semble indiquer que les interactions trophiques de base se sont établies rapidement lors de l’explosion cambrienne et qu’elles n’ont guère changé depuis.
Les paléontologues peuvent s’appuyer sur une série d’indices pour reconstituer les régimes alimentaires des animaux des schistes de Burgess. On découvre de temps à autre à l’état fossile des excréments ou le contenu du tube digestif, ce qui permet d’identifier les derniers aliments ingérés par l’animal.
Généralement, les habitudes alimentaires d’un animal doivent se déduire de la niche écologique qu’il occupait et de ses structures anatomiques spécialisées servant à l’alimentation. Anomalocaris, par exemple, possédait de gros yeux, des appendices préhenseurs, des lobes natatoires et des pièces buccales ressemblant à des dents. Ces caractéristiques, en plus de sa grande taille, évoquent un prédateur.
RÉSUMÉ : En 1990, le célèbre paléontologue Stephen Jay Gould est venu parler des fossiles des schistes de Burgess au Musée Royal de l’Ontario. Si de nombreuses interprétations qu’il donnait alors ont été remises en question, sa conférence résumait bien l’idée qu’on se faisait à l’époque de ces fossiles. (6:32) (6:20)
Voici Marrella. Je dirais que le classement des arthropodes est basé principalement sur le nombre de segments et les motifs des différentes parties du corps.
« Nous avons donc Marrella, un arthropode qui n’entre dans aucun groupe. Il possède deux paires d’épines. Il n’est apparenté à aucune lignée. »
« Whittington était perplexe lorsqu’il a publié son premier article sur Marrella, en 1971, mais il a persévéré. Il s’est ensuite intéressé à Yohoia, »
« une créature semblable à une crevette et décrite comme telle par Walcott. Après une étude minutieuse, Whittington a constaté que Yohoia n’appartenait à aucun groupe moderne. À première vue, il ressemble à une crevette, mais il suffit de compter les segments pour savoir qu’il ne s’agit pas du plan d’organisation d’un crustacé. »
« Par exemple, la tête possède une paire d’appendices unique en son genre chez les arthropodes. Faute de mieux, Whittington finira par les appeler les « grands appendices ». »
« Voici Odaraia, une créature qui nage sur le dos et dont la nageoire caudale ressemble plus à celle d’une baleine que d’un arthropode. Lui aussi est unique en son genre. »
« Il ressemble vaguement à un crustacé nageur, mais s’en distingue nettement par les segments et les motifs de la queue. »
« Ici, nous avons Sidneyiaque Walcott a décrit comme un chélicérate, c’est à dire un membre du groupe des limules, celui des araignées et des scorpions. La ressemblance est superficielle. »
« Chez les chélicérates, la tête porte six paires d’appendices, mais il n’y en a qu’une chez Sidneyia, ces antennes. Bref, Sidneyia est unique en son genre. »
« Voici Habelia, une créature étrange… »
« … recouverte de tubercules. »
« En fait d’élégance, la palme va à Leanchoilia, aujourd’hui disparu. »
« Ici encore, nous retrouvons ces grands appendices, comme Whittington les appelle, avec leurs prolongements en forme de fouet. »
« Voici Aysheaia… »
« … qui fait probablement partie des onychophores, un groupe moderne représenté par un genre au nom charmant de Peripatus. Ce groupe méconnu serait un intermédiaire entre les annélides et les arthropodes, peut-être même, l’ancêtre des insectes. Aysheaia pourrait en réalité être apparenté à un des groupes d’arthropodes toujours présents. »
« Voici maintenant une forme découverte par Des Collins qui, selon la tradition paléontologique, lui a d’abord donné un nom de terrain. »
« Il l’a appelé « Santa Claws », puis Sanctacaris, ce qui veut dire à peu près la même chose. Est-il vraiment différent de ceux que je viens de vous montrer? »
« Auriez-vous pensé qu’une telle créature aurait survécu? Que c’était un organisme supérieur qui aller durer? Pourtant, tout porte à croire que Sanctacarisest vraiment un chélicérate.
Comme il a six paires d’appendices au bon endroit sur la tête, cet animal pourrait au moins être apparenté à une des lignées encore existantes. Mais l’auriez-vous su? Qui l’aurait su? »
« Voici Opabinia, qui, à mon avis, représente l’une des étapes décisives de l’histoire de la connaissance humaine. »
« Walcott, qui le considérait comme un arthropode, une sorte de crevette, l’a classé automatiquement, comme à son habitude, dans les groupes d’organismes modernes. C’est la première créatureréinterprétée par Whittington qui permet de sortir du cadre conceptuel préétabli et d’apercevoir un monde nouveau. »
« Whittington pensait à un arthropode quand il entrepris ses travaux sur Opabiniaau début des années 1970. À la différence de Walcott, il s’est rendu compte que ces créatures présentaient un certain caractère tridimensionnel, qu’elles n’étaient pas simplement des impressions laissées sur la roche… »
« … et qu’il pourrait trouver des structures sous-jacentes par dissection. Il s’est dit qu’il pouvait résoudre l’énigme, qu’il allait disséquer le corps et trouver les appendices en dessous, et ainsi démontrer qu’il s’agissait d’un arthropode. Mais il n’a rien trouvé: il n’y a pas d’appendices. »
« Sa reconstitution d’Opabiniaa révélé que ce n’était pas un arthropode, mais une créature bizarre ayant sa propre anatomie. La monographie sur Opabiniapubliée en 1975 représente selon moi une percée dans la réinterprétation des schistes de Burgess. »
« Voici le dessin de Marianne représentant Opabinia, cette créature bizarre qui possède cinq yeux – comptez-les –, une trompe frontale qui ressemble à un tuyau d’aspirateur et qui se termine par un appareil de collecte de nourriture, une partie arrière ressemblant à un soufflet, puis une queue. Je ne sais pas ce que c’est, mais c’est étrange. »
« Voici Nectocaris, une créature singulière qui a l’apparence d’un chordé vue de derrière et qui possède une nageoire caudale… »
« … mais qui ressemble davantage à un octopode à l’avant. Qui sait? »
« Dinomischusest un organisme tout aussi bizarre, en forme de tige… »
« … qui n’a aucune affinité avec d’autres espèces. »
« Voici maintenant Odontogriphus, c’est-à-dire l’« énigme dentée », nom qui lui convient parfaitement. »
« C’est un animal au corps aplati, gélatineux et annelé dont la bouche est entourée d’une rangée de « dents » et bordée d’une paire de palpes sensoriels. »
« Walcott a décrit trois genres distincts, qu’il a classés, selon son habitude, dans trois groupes classiques.
L’animal qu’il a appelé une méduse et baptisée Peytoia.. »
« Celui qu’il a classé comme concombre de mer, qu’il a appelé Laggania. »
« Et cette créature, dont le corps ressemble à celui d’un arthropode, qui avait déjà été décrite et baptisée Anomalocaris, c’est à dire « étrange crevette ». Je crois que vous avez deviné: »
« ces trois créatures n’en forment qu’une, l’une des plus bizarres de la faune étrange de Burgess.
C’est aussi le plus gros organisme du Cambrien. Certains spécimens font presque un mètre de long.
La soi-disant méduse est en fait sa bouche. Contrairement aux mâchoires d’un vertébré, la bouche d’Anomalocaris est circulaire et agit comme un casse-noix.
Ce qu’on appelait Anomalocarisest en fait une paire d’appendices préhenseurs, tandis que le supposé concombre de mer constitue le corps de l’animal. »